Ce que les autres ne voient pas

Je rentre du bureau. Pas même le temps de poser mes affaires. Evelyne vient de rentrer du kiné. Il faut vider le pot, changer la couche, l’installer sur le canapé, ajuster un coussin, lui tendre un verre d’eau…

Puis reviennent, comme chaque jour, les mêmes phrases :

« Tu as vu mes lunettes ? »

« On est quel jour ? »

« J’ai pris mes médicaments ? »

« Peux-tu m’apporter à manger sur le canapé ? »

« Je ne trouve plus la télécommande de la télé »

« J’ai fait tomber mon téléphone », etc…

Parfois même : « Ils disent qu’on est en 2025 à la télé… On est bien en 2027, hein ? »

Tout cela s’enchaîne, sans pause. Ces demandes lancées en boucle usent, non pas par leur contenu, mais par leur répétition. Leur absence d’échange. Leur poids, silencieux.

Ce qui m’épuise, ce n’est pas ce que je fais, ni même le rythme à tenir, mais cette impression que chaque journée est la copie de la précédente, que rien ne change vraiment, et que peu à peu, je glisse dans une routine faite de gestes répétés, de réponses automatiques, jusqu’à ne plus sentir ma propre présence autrement que comme un rôle à jouer : toujours prêt, toujours disponible, mais de plus en plus silencieux, presque absent à moi-même.

Alors ce soir, j’ai pris mon ordinateur et je suis sorti dans la cour, à l’ombre, pour écrire. Non pas pour raconter une histoire, ni même pour me plaindre, mais simplement pour laisser une trace. Pour dire que moi aussi, j’existe encore derrière ce rôle. Que sous les gestes mille fois répétés, il y a un homme, un être humain, avec ses besoins, ses émotions, ses silences. Écrire, c’est ma façon de résister à l’effacement, de garder un espace à moi, minuscule peut-être, mais essentiel.

Je ne suis pas un héros, ni un exemple. Juste quelqu’un qui fait de son mieux, chaque jour. Avec amour, avec tendresse, parfois de la colère, parfois du découragement. Mais toujours en avançant. Pas toujours fort, pas toujours droit… mais j’avance.

Et vous, qui accompagnez un proche chaque jour, comment faites-vous pour tenir ?


4 réponses à « Ce que les autres ne voient pas »

  1. Avatar de Stephan Larroque

    On ne parle pas assez des aidants ! Merci de partager ton expérience.

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    1. Avatar de erichardy1962
      erichardy1962

      Stéphan,

      Si en témoignant je peux contribuer, même un peu, à changer les regards et à briser le silence autour de ce sujet, alors c’est déjà une victoire.Amicalement

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  2. Avatar de Franck LE COZ
    Franck LE COZ

    Et oui Eric, on ne parle pas assez de ces héros de l’ombre que sont les aidants.

    Aider les aidants, voici une mission dont notre espace public devrait s’emparer avant d’investir des milliards à l’étranger …

    Je sais ce que cela représente dans un contexte différent qui est celui de ma fille et à quel point la vigilance de tous les instants peut représenter une charge mentale pour les aidants proches comme la famille.

    Ensemble, brisons ce silence assourdissant de l’indifférénce générale pour remettre l’humain au centre de toutes nos préoccupations.

    Très amicalement

    Franck

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  3. Avatar de erichardy1962
    erichardy1962

    Franck,

    Tu as raison, les aidants sont des héros de l’ombre. En parler, c’est déjà leur donner la place et la reconnaissance qu’ils méritent. Ensemble, continuons à briser ce silence pour remettre l’humain au centre.

    Amicalement

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