Je rentre du bureau. Pas même le temps de poser mes affaires. Evelyne vient de rentrer du kiné. Il faut vider le pot, changer la couche, l’installer sur le canapé, ajuster un coussin, lui tendre un verre d’eau…
Puis reviennent, comme chaque jour, les mêmes phrases :
« Tu as vu mes lunettes ? »
« On est quel jour ? »
« J’ai pris mes médicaments ? »
« Peux-tu m’apporter à manger sur le canapé ? »
« Je ne trouve plus la télécommande de la télé »
« J’ai fait tomber mon téléphone », etc…
Parfois même : « Ils disent qu’on est en 2025 à la télé… On est bien en 2027, hein ? »
Tout cela s’enchaîne, sans pause. Ces demandes lancées en boucle usent, non pas par leur contenu, mais par leur répétition. Leur absence d’échange. Leur poids, silencieux.
Ce qui m’épuise, ce n’est pas ce que je fais, ni même le rythme à tenir, mais cette impression que chaque journée est la copie de la précédente, que rien ne change vraiment, et que peu à peu, je glisse dans une routine faite de gestes répétés, de réponses automatiques, jusqu’à ne plus sentir ma propre présence autrement que comme un rôle à jouer : toujours prêt, toujours disponible, mais de plus en plus silencieux, presque absent à moi-même.
Alors ce soir, j’ai pris mon ordinateur et je suis sorti dans la cour, à l’ombre, pour écrire. Non pas pour raconter une histoire, ni même pour me plaindre, mais simplement pour laisser une trace. Pour dire que moi aussi, j’existe encore derrière ce rôle. Que sous les gestes mille fois répétés, il y a un homme, un être humain, avec ses besoins, ses émotions, ses silences. Écrire, c’est ma façon de résister à l’effacement, de garder un espace à moi, minuscule peut-être, mais essentiel.
Je ne suis pas un héros, ni un exemple. Juste quelqu’un qui fait de son mieux, chaque jour. Avec amour, avec tendresse, parfois de la colère, parfois du découragement. Mais toujours en avançant. Pas toujours fort, pas toujours droit… mais j’avance.
Et vous, qui accompagnez un proche chaque jour, comment faites-vous pour tenir ?
